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Nouvelle prestation à F-information pour les femmes* victimes de violences domestiques

F-information met en place une consultation juridique et sociale offrant un accueil spécifique et inconditionnel aux femmes* victimes de violences domestiques (CIVD). Charlotte Burnand et Marine Pernet, juristes de l’association, expliquent ce qui a donné lieu à la création de cette nouvelle prestation.

Selon les statistiques 2024 de F-information, un quart des femmes* reçues dans les consultations juridiques indiquaient être victimes de violence, c’est un pourcentage important! Votre réaction?

C’est effectivement un pourcentage très important, et inquiétant. Cependant, on sait que c’est avant tout dans le contexte conjugal et familial que les violences contre les femmes* ont lieu, donc ce n’est finalement pas très étonnant.

Pourquoi proposer cette nouvelle prestation à F-info?

On a imaginé cette nouvelle prestation pour répondre aux besoins spécifiques des femmes* victimes de violence domestique.
L’avantage de proposer cette prestation à F-info, c’est que nous touchons un large public. En effet, en tant qu’association généraliste (ouverte à toutes les femmes*) et pluridisciplinaire (consultations sociales, professionnelles, psychologiques et juridiques + activités collectives + bibliothèque filigrane), F-information est une porte d’entrée pour toutes les femmes*, y compris celles qui n’identifient/ne considèrent pas qu’elles vivent des violences domestiques.

Quels sont les besoins spécifiques de ces femmes*?

Un des problèmes identifiés par les intervenant·es du terrain et par les femmes* elles-mêmes, c’est le sentiment de confusion et de submersion. Les violences domestiques impactent quasiment tous les aspects de la vie des victimes et, bien souvent, elles se retrouvent à devoir faire de nombreuses démarches administratives et judiciaires en parallèle. C’est au moment où elles se sentent le plus vulnérables et épuisées qu’elles doivent déployer le plus d’énergie pour gérer les conséquences des violences domestiques. Tout cela est décourageant, quand ce n’est pas tout simplement inaccessible.

Nous avons donc identifié ce besoin d’avoir un lieu et des personnes de référence, ayant une vision globale de la situation et qui peuvent assurer un suivi entre les démarches et les intervenant·es.

On a aussi pensé ce projet pour les femmes* sans statut légal, qui sont particulièrement vulnérables aujourd’hui. La plupart des victimes sans statut légal renoncent à déposer plainte de peur d’être condamnées en raison de leur situation irrégulière et d’être expulsées de Suisse. On appelle ce phénomène le chilling effect / effet dissuasif. On observe aujourd’hui que les auteurs des violences instrumentalisent le rôle des autorités et le dispositif légal actuel pour faire pression sur les femmes*, ce qui est contraire aux droits humains et à la Convention d’Istanbul. La CIVD a pour objectif de développer des contacts étroits avec le Ministère public et l’office cantonal de la population et des migrations (OCPM), afin de chercher des solutions pour tirer profit des marges de manœuvres légales et ainsi permettre aux femmes* sans statut légal de dénoncer les situations de violence (notamment l’article 52 du Code pénal qui permet de ne pas instruire la question du séjour illégal lorsque la personne est victime d’une infraction jugée plus importante que l’infraction liée à l’absence de permis de séjour).

De plus, le séjour dans les foyers d’hébergement d’urgence pour les victimes de violence domestique est souvent limité pour les femmes* sans statut légal, car il est souvent nécessaire de demander l’aide sociale pour les fiancer. Or, pour obtenir l’aide sociale, elles devraient déposer une demande de permis et ainsi risquer l’expulsion…

Quelles sont les conséquences juridiques des violences domestiques sur la vie de la victime?

Le cadre juridique dans lequel s’inscrit la prise en charge des problèmes de violence domestique est complexe, car trois domaines du droit s’articulent autour de ces situations: le droit pénal (dont le but est de punir l’auteur des violences), le droit civil (dont la finalité est de régler les effets de la séparation du couple) et le droit administratif (pour éloigner temporairement l’auteur du domicile et régler les éventuelles conséquences de la séparation sur le droit de séjour en Suisse de la victime).

Pour les femmes* concernées, l’articulation entre ces différents domaines est difficile à comprendre. Elles se disent souvent perdues et confuses, incapables de comprendre ce qui peut être demandé à chaque intervenant·e. Par exemple, on ne va pas demander au juge civil de punir l’auteur des violences, mais plutôt de protéger le bien-être de l’enfant en aménageant les relations personnelles (autorité parentale, garde, droit de visite) au sein de la famille. A contrario, on ne va pas demander à la police d’instaurer une garde exclusive de l’enfant, car cette décision ne peut être prise que par un juge civil.

La loi sur l’aide aux victimes d’infractions prévoit une prise en charge partielle ou totale des honoraires d’avocat·es. Cela étant, même si la personne victime de violence domestique remplit les conditions pour bénéficier de cette prestation, l’avocat·e ne peut l’accompagner que sur le plan de la procédure pénale. Or, de nombreuses autres questions doivent être réglées. Pour que la personne victime obtienne un soutien et des informations utiles, le Centre LAVI, ainsi que d’autres structures, nous adressent très régulièrement des femmes* pour un soutien social et juridique complémentaire. Actuellement, notre aide est ponctuelle et limitée par les ressources existantes à l’interne.

Ces démarches ont aussi des temporalités différentes, ce qui les rend peu compréhensibles et prévisibles pour les femmes* concernées. Cela ajoute à leur parcours beaucoup d’anxiété et de stress qui peuvent motiver un retour au domicile avec l’auteur des violences.

De nombreuses femmes* ne se reconnaissent pas comme victimes de violences et ne comprennent parfois qu’après-coup avoir vécu des violences… Pouvez-vous développer cette idée?

Il y a plusieurs explications possibles à ce phénomène. Tout d’abord, on observe fréquemment que, pour certaines femmes*, seule la violence physique est considérée comme de la violence domestique. On entend souvent dire que «la ligne rouge, ce sont les coups». Ainsi, les comportements comme les insultes, les discours de rabaissements, le contrôle des relations personnelles, la confiscation du téléphone portable ne sont pas identifiées comme étant des formes de violence. Ceci peut  notamment s’expliquer par l’idéal de «l’amour passionnel» que nous vend la société. Un homme jaloux, c’est un homme amoureux, et un homme qui casse des objets, c’est un homme passionné.

Ensuite, les femmes* ressentent et expriment souvent de la honte. En effet, c’est stigmatisant de se définir et d’être défini par les autres comme une «victime». Ça l’est d’autant plus pour des personnes qui s’entendent dire toute la journée à la maison qu’elles sont faibles, incapables, inutiles, etc. De plus, de nombreuses femmes* ont peur des conséquences si elles dénoncent les violences. Parfois, c’est parce qu’elles ont peur que le père de leurs enfants se retrouve en prison. Parfois, elles ont peur de se séparer, car elles ne veulent pas que leurs enfants se retrouvent seul·es avec leur père dans le cadre d’une garde alternée et de droit visite.

Par ailleurs, de nombreuses femmes* prennent sur elle pour protéger ce qu’elles identifient comme l’harmonie familiale. Elles ont la croyance qu’une séparation parentale nuirait à leurs enfants et souhaitent les en protéger. Un autre phénomène important est l’emprise, un ensemble de mécanismes par lequel l’auteur de violences prend progressivement possession de la vie de l’autre en la contrôlant et en l’isolant.

Finalement, la dynamique des violences domestiques se caractérise souvent par un cycle (communément appelé «le cycle de la violence»). Après un épisode de violence, l’auteur va exprimer des remords, faire des promesses et des cadeaux, qui entretiennent l’espoir qu’il va changer. Cela explique qu’il faut du temps avant de se rendre compte que cet espoir est vain.

Quelle est votre posture en tant que professionnelle face à ces personnes victimes de violence domestique?

C’est un exercice délicat! D’un côté, il est très important de nommer les violences, de dire que ce qu’elles vivent n’est pas normal. D’un autre côté, selon les cas, ça peut être trop brusque et braquer les personnes. Cela couperait le lien de confiance, tellement nécessaire. Il faut prendre la personne là où elle en est dans son chemin et ne pas essayer de l’amener là où on pense qu’elle devrait être. Cela dit, nous ne sommes pas psychologues et quand on identifie qu’il y a un besoin d’aborder la question des violences plus en détails, on peut fixer une consultation avec notre collègue psychologue et/ou orienter la personne dans le réseau.

Qu’est-ce que F-information propose qui n’est pas proposé déjà ailleurs? Quel lien avec le réseau existant?

La nouveauté de la CIVD sera de proposer ce rôle de centralisation et de lien avec le reste du réseau aux femmes* victime de violences domestiques. Par conséquent, cette prestation a été pensée comme complément de ce que propose déjà le réseau.

L’avantage que cette prestation ait lieu à F-information, c’est de bénéficier de la pluridisciplinarité et de la prise en charge globale offerte à F-information (informations juridiques mais aussi pratiques (garder les preuve, interface avec la police, etc.), aide à la recherche de logement, accès aux prestations sociales, pôle professionnel, lien avec les autres intervenant·es ou spécialistes, sortir de l’isolement avec les activités collectives, etc.)

Notes:

* L’appellation femmes* désigne toute personne qui se reconnaît en tant que femme ou socialisée en tant que telle.