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Interview : « Un enfant, c’est comme une graine ou une plante, ça a besoin de soin pour grandir »

F-information, ce sont des consultations individuelles mais aussi des activités collectives. Aujourd’hui nous rencontrons Elham, la quarantaine. Palestinienne, elle vit en Suisse depuis 7 ans. Julia Federico, animatrice du Réseau d’échange et de savoirs (RESI-F) et responsable du projet Nous Citoyennes, témoigne de sa participation active (l’aquarelle illustrant cet article a été peinte par Elham).

Elham, pouvez-vous nous parler de votre parcours en quelques mots ?

Je suis Palestinienne, et je viens du Liban où je suis née. Mon enfance ?… Je n’ai pas beaucoup de souvenirs, à part d’être perdue… J’ai 4 garçons qui ont aujourd’hui entre 10 et 17 ans. Au Liban, c’est interdit pour les Palestiniens de travailler. On avait accès à l’école primaire ou à la santé, mais c’était très basique. Et même pas pour tout le monde. J’habitais dans le camp d’Ain al-Hilweh[1] avec mon mari et mes enfants, dans la maison des parents de mon mari. On nous obligeait à déménager tous les deux ans pour ne pas s’attacher à un lieu. Il y avait des tensions permanentes, je n’étais jamais tranquille et j’avais peur tout le temps… j’avais envie d’un autre avenir pour mes enfants et pour moi.

Arrivés à Genève, nous avons d’abord habité 1 an et demi au foyer des Tattes (centre d’hébergement collectif à Vernier – NDLR). Même si c’était un foyer, si on devait partager les toilettes et être dans une seule chambre, c’était la première fois que je ressentais la sécurité. Pour moi, c’était déjà suffisant : avoir 4 murs qui me protègent.

J’ai eu la chance de partir, le reste de ma famille est restée au Liban. Je garde le contact avec ma mère et mes sœurs ; elles sont contentes pour moi. Mon mari a perdu son père et sa mère pendant le covid et il n’a pas pu aller à la cérémonie… C’est très dur.

Ici, je suis heureuse, bien intégrée, et je donne beaucoup de temps pour aider les gens. Ça me fait plaisir par exemple de cuisiner pour Meyrin-les-Bains ou pour le Jardin Robinson [2]. J’ai aussi vendu de la nourriture pour une association qui aidait les personnes après le tremblement de terre au Maroc.

Genève, c’est le droit de vivre comme les autres, c’est la liberté de choix. Je ne suis pas ici juste pour prendre un permis ou une nationalité. J’aimerais que mes enfants fassent le service militaire pour que ça leur donne davantage d’attachement à ce pays, qu’ils aient envie de le protéger et qu’ils méritent leurs droits. Depuis notre arrivée, nous avons vécu trois ans avec un permis N, puis 3 ans avec un permis F… Mon mari qui a fait des études et qui travaillait au Liban n’a pas pu travailler pendant tout ce temps. Depuis 1 an, nous avons le permis B comme apatride, et il a enfin le droit de travailler… mais on a perdu tellement d’années et à son âge c’est plus difficile.

 

Vous avez connu F-information par Nous Citoyennes…

E: Oui c’est le Cefam[3] qui m’a proposé de participer au projet de Nous Citoyennes, il y a deux ans. Elles m’ont dit que ça allait m’aider et que je rencontrerais d’autres femmes. On a fait un guide Découvrir Genève à travers le regard de femmes venues d’ailleurs : un guide pour s’intégrer (voir le PDF en ligne). J’ai pu le donner au Cefam où il y a beaucoup de femmes qui sont nouvelles à Genève et ça les aide. Le projet a été décidé par nous, ce n’était pas facile et il a fallu trouver un consensus. Je suis très fière de ce que l’on a fait.

Julia Federico : Avec raison, c’était un super projet ! Elham, Hazbie, Luul, Alina, Francieli, Teuta et Runa ont eu l’idée de rédiger un guide pratique sur la vie à Genève, avec comme objectif de partager les lieux importants à leurs yeux. Dans le groupe, certaines étaient à Genève depuis des années mais sont longtemps restées à la maison pour s’occuper de leurs enfants, et d’autres étaient là depuis peu. Elles ont toutes eu leur propre parcours de migration et d’intégration et elles étaient sensibles aux difficultés que l’on peut avoir en arrivant en Suisse sans forcément parler la langue du pays.

Dans un esprit d’entraide et de solidarité, elles ont décidé de mettre ensemble non seulement leurs connaissances du réseau genevois mais aussi leurs expériences de vie pour encourager et donner de l’espoir aux autres qui doivent également faire leur chemin.

Certes, il existe différents guides sur la vie à Genève pour les nouvelles arrivantes, mais celui-ci est non seulement une liste d’adresses-clés, de lieux qu’elles aiment fréquenter et de bons plans, mais il est aussi enrichi par leurs témoignages et les magnifiques dessins d’Elham à l’aquarelle. C’est comme si une amie nous guidait et nous aidait à découvrir un terrain inconnu…

Plus généralement, Nous Citoyennes est un projet créé en 2018 qui permet chaque année à un petit groupe de femmes issues de la migration de co-construire un projet, ce que nous appelons une « action citoyenne » de à A à Z. Du premier brainstorming au choix du projet, de sa mise en place au bilan et à la soirée de clôture, elles participent à cette co-construction. Concrètement, le projet consiste en des séances de travail bihebdomadaires, cinq ateliers de formation, des visites et des rencontres avec des personnes-clés et un travail d’équipe sur le terrain.

Les femmes qui participent viennent de différentes cultures, parlent différentes langues, sont souvent en train d’apprendre le français, mais elles ont toutes une envie commune : aider autrui, découvrir Genève et se sentir bien là où elles vivent.

On constate qu’au bout de ces cinq mois ensemble, elles sont souvent plus à l’aise pour s’exprimer en français, plus en confiance pour découvrir de nouveaux lieux, aller à la rencontre des autres, oser sortir de leur zone de confort.

 

Qu’est-ce que votre participation a changé pour vous ?

E : Ça m’a donné confiance. Chaque formation me donne la confiance que je suis capable de faire, et que je ne suis pas si timide. Il faut parfois frapper à la porte plusieurs fois. Un dicton de chez moi dit que si on tape plusieurs fois sur le caillou, il va casser. Parfois il ne faut pas se décourager et il faut insister.

J’avais proposé un autre thème pour Nous Citoyennes, sur la plantation de graines. Mais il y a déjà d’autres associations qui font ça. J’aime beaucoup les plantes et c’est important de savoir s’en occuper. C’est comme pour un enfant, ça a besoin qu’on l’arrose, besoin de soin pour grandir. Depuis trois ans, on a pris un jardin familial. Mon mari met tout son stress et son énergie dans le jardin, il y travaille beaucoup. Et à la maison on partage, je commence à préparer les repas et il continue.

JF : Elham est quelqu’un qui donne beaucoup d’elle-même et qui s’est beaucoup investie dans le projet. Curieuse, ouverte et sensible, elle a une vision claire de ses valeurs, de ses convictions humanistes. Elle s’est toujours montrée optimiste, pleine d’espoir, persévérante, malgré les obstacles auxquels nous avons fait face dans le cadre du projet ainsi que dans son parcours. C’était un plaisir de l’avoir dans le groupe. Elle a une grande volonté de participer à la vie citoyenne ici à Genève. Je l’admire. C’est une des choses que j’adore avec « Nous Citoyennes » : cela me permet de partager un bout du chemin avec un groupe de personnes très diverses, de voir ce qu’elles sont capables de faire ensemble. Chaque année, c’est une nouvelle aventure, on ne sait jamais quel projet va être mis en place.

 

Avez-vous eu l’occasion d’autres activités à F-information ?

E : De temps en temps je participe au RESI-F, ça me permet de sortir de la maison. Je suis contente de croiser certaines personnes, ce sont devenu des amies. J’ai commencé le français à Genève, ça reste compliqué pour moi de le lire. J’aime les cours de discussions et les ateliers. Je vais encore très souvent au Cefam, je ne reste pas à la maison.

J’ai aussi fait un cours d’agente de santé [4]– migration et nutrition. Et j’ai réussi le test B2[5] il y a plusieurs mois. Avec tout ça, je comprends mieux les gens d’ici et je suis plus indépendante.

JF :  Effectivement, Elham est active dans plusieurs associations. Son implication en tant qu’agente de santé communautaire nous a permis de créer un pont entre leur association et F- information, et de proposer des animations sur la santé pour les membres du RESI-F. Cela nous fait plaisir de la retrouver de temps en temps lors de nos activités, et de garder du lien.

Pour qui ne le sait pas, le RESI-F est un réseau interculturel d’échanges de savoirs pour les femmes qui existe depuis bientôt 30 ans. Ce réseau offre un espace où l’on peut rencontrer et partager avec des femmes provenant de partout dans le monde. Les rendez-vous mensuels permettent d’échanger sur nos expériences de vie, ici et ailleurs.

La plupart des femmes ont leur propre expérience de migration, ce qui est propice à une ambiance bienveillante et chaleureuse pour celles qui sont en train d’apprendre le français. Gratuit et sans inscriptions, les portes sont ouvertes à toutes, y compris aux Suissesses[6].

Une dizaine de membres du réseau proposent bénévolement des cours aux autres membres, leur permettant de valoriser leurs compétences, toujours dans cet esprit d’échange. C’est une belle occasion d’apprendre les unes des autres et de tisser des liens d’amitiés.

Une autre chose que vous avez envie de dire aux lectrices ?

E : J’aimerais qu’on laisse les gens travailler plus vite quand ils viennent à Genève. On dit qu’on prend de l’argent à l’État, mais on n’a pas seulement envie de recevoir, on aimerait aussi donner. Plus que de l’argent, il faut intégrer davantage ! On a besoin de sécurité, de soutien et d’accompagnement, et faciliter les cours de français. Une nouvelle culture, une nouvelle langue, tout est nouveau… et ce n’est pas facile. J’espère que beaucoup de gens entendront ce message.

 

[1] Le plus grand camp de réfugiés palestiniens au Liban, avec une population de près de 120’000 personnes. Il a été installé en 1948 par le Comité International de la Croix-Rouge. C’est une zone de non-droit où règne beaucoup de violences.

[2] Meyrin les Bains, c’est un programme d’animations, de restauration et des espaces de rencontre qui sont organisés chaque année par la commune de Meyrin en collaboration avec des dizaines d’associations. Le Jardin Robinson est un lieu pour les enfants de 6 à 12 ans, basé sur un accueil libre.

[3] Le Cefam est un centre d’accueil et d’intégration pour femmes migrantes et leurs enfants en âge préscolaire habitant Meyrin : https://cefam.ch/

[4] https://agentsante.ch/

[5] Le test de niveau B2 en français atteste des « capacités à comprendre le contenu de sujets concrets ou abstraits, et à communiquer avec spontanéité et aisance avec une locutrice native ».

[6] Un jeudi par mois, de 17h30 à 19h30 dans les locaux de F-information. Pour les dates, appelez-nous au 022 740 31 00