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Activités collectives à F-information : un véritable processus d’émancipation

 

Activités collectives à F-information : un véritable processus d’émancipation

A la veille de la 3ème Grève des femmes* (14 juin 2021) et au vu de la période que nous traversons durant laquelle les réunions collectives – en personne en tous les cas – sont limitées, nous souhaitons célébrer dans cet article la force du collectif et les processus de valorisation et d’émancipation que le groupe peut amener.

Les activités collectives de F-information, que cela soit le Réseau interculturel d’échanges de savoirs pour les femmes (RESI-F), le projet « Nous citoyennes » qui va débuter sa 3ème session en septembre 2021, ou encore les bilans de compétences en groupe, illustrent chacune à leur manière cette force collective qui peut devenir source d’émancipation. Le travail d’information, de suivi et d’accompagnement des conseillères de F-information auprès des usagères vise également ces processus d’émancipation et de valorisation, mais nous nous concentrerons ici sur les activités d’ordre collectif.

Nous verrons également que les méthodes pédagogiques à F-information et au RESI-F sont inspirées des pédagogies dites « émancipatrices » ou critiques, théorisées dès les années 60 par le pédagogue brésilien Paolo Freire[1]. Ce type de pédagogie va dans le sens d’une participation pro-active des personnes « apprenantes » mais également d’échanges libres de toute oppression ou prise de pouvoir. Elle contribue dès lors à l’« empowerement » des individus et de la société dans son ensemble.

Empowerement et pédagogie émancipatrice : des approches complémentaires

Dans les années 70, la notion d’empowerment apparaît dans le champ du développement international, au sein d’ONG défendant une approche centrée sur l’émancipation des femmes[2]. Sa diffusion s’y fait parallèlement dans le domaine de l’intervention sociale en Amérique du Nord et partage certaines références avec l’éducation populaire de Paulo Freire et la seconde vague du féminisme.

Dans cet article, nous parlerons indistinctement d’empowerement et d’empouvoirement. La construction du mot français est la même qu’en anglais : « pouvoir » au sens de puissance et de capacité, et le préfixe « en » ou « em » dans l’idée d’un processus, d’un mouvement, d’une transition. Donc un « processus de développement d’un pouvoir ».

Aujourd’hui, cette notion fait partie du vocabulaire courant, autant dans l’intervention sociale que les politiques de genre, dans le développement international que dans les politiques urbaines. On mobilise également cette notion dans les domaines de l’éducation, de la pédagogie et du rapport au(x) savoir(s), que nous allons précisément aborder avec les activités collectives de F-information.

RESI-F : l’idée d’empouvoirement ancrée depuis le départ

Le Réseau interculturel d’échanges de savoirs pour les femmes (RESI-F) est né à Genève il y a 27 ans face au constat d’un isolement des femmes étrangères et notamment requérantes d’asile. Une première soirée d’information et de témoignages sur le thème « Femmes et exilées, ce qu’elles vivent à Genève » est organisée. Suite à cette soirée, des moments de rencontres entre femmes migrantes et femmes suissesses sont mis en place. Depuis ses débuts, l’idée que chacune exprime ses besoins, ses opinions et que toutes puissent, suissesses ou non, proposer des actions, est très ancrée. Aujourd’hui, le RESI-F compte près de 400 membres (l’inscription et la participation sont entièrement gratuites et bénévoles) d’une cinquantaine de nationalités.

Il comprend différentes activités, dont les rencontres mensuelles lors desquelles les personnes présentes échangent autour d’un thème décidé en amont par des membres. On peut parler d’un processus d’empouvoirement dans le cadre de ces rencontres, les animatrices insistant sur le fait que la parole et l’opinion de l’une vaut autant que celle d’une autre, quel que soit son niveau de français et son « expertise » sur le sujet.  Les personnes sont invitées à s’exprimer en partant de leurs expériences ; l’importance du vécu est reconnue. Cette reconnaissance participe de la confiance en soi.

De même, dans les échanges de savoirs (entre 5 et 7 cours et ateliers hebdomadaires donnés par les membres elles-mêmes) l’acte de partager son savoir et de l’enseigner constitue une valorisation importante et une reconnaissance de ses compétences. La prise de conscience que l’on peut avoir un impact positif sur son environnement fait partie du processus d’empouvoirement.

Une grande autonomie est laissée aux formatrices /animatrices dans l’organisation de ces ateliers. Elles décident de la manière la plus adéquate pour mener leur activité, parfois avec les participantes. Les responsables du RESI-F sont là pour assurer le premier lien entre participantes et formatrices, la logistique, le suivi et la continuité de ces échanges. A nouveau, la valorisation – des élèves comme des animatrices – par l’intégration et la participation à un groupe est centrale.

Comme le dit Chokoufeh Samii, une des responsables, « Toute personne possède des savoirs mais n’en est pas toujours consciente, notamment les femmes. Les savoirs, ce ne sont pas seulement les avoirs acquis et reconnus dans le cadre professionnel, mais toute connaissance théorique ou savoir-faire issus d’expérience de vie. Or pour être identifiés et valorisés, les savoirs doivent parfois être sollicités ». Cette identification peut venir des responsables du RESI-F ou d’autres activités collectives mais également être le fruit de partages entre les membres.

Si ce réseau perdure depuis tant d’années, c’est également parce qu’il reste à l’écoute et s’adapte aux besoins des participantes. Les animatrices et formatrices bénévoles sont également soutenues dans les potentielles difficultés rencontrées avec les participantes. Sans jouer un rôle de discipline, les responsables du RESI-F s’assurent que les activités se déroulent dans un cadre sain et respectueux de toutes.

Il est par ailleurs important de définir clairement au départ avec les intervenantes le cadre de l’activité et de poser quelques règles. Selon Chokoufeh Samii, « paradoxalement, plus le cadre et les règles incontournables sont posées et claires pour tout le monde, plus la liberté d’action et la marge de manœuvre des intervenantes est grande ».

« Nous citoyennes » et les bilans-portfolio de compétences en groupe : le groupe comme moteur

Le projet Nous citoyennes s’inspire d’un projet intitulé « Du je au nous » réalisé par l’association Flora en Belgique, qui repose sur la notion de « coconstruction ». Le principe est l’écoute et la valorisation de la parole des personnes les plus fragilisées et leur autonomisation via leur participation active à des collectivités. La coconstruction se fait au travers de la collectivisation des besoins et talents. Nous citoyennes est également né du constat que certaines participantes du RESI-F demandaient à pouvoir s’engager davantage.

La 3ème session débute en septembre 2021. Elle permettra à des femmes migrantes de réaliser collectivement une action citoyenne au niveau local (immeuble, quartier, commune). Cette action doit avoir une utilité publique et permettre aux participantes de développer des compétences et savoirs conduisant à une meilleure intégration sociale, premier pas vers une insertion professionnelle. Le public-cible est composé de femmes migrantes habitant le canton de Genève, n’ayant peu ou pas du tout travaillé ni fait du bénévolat, et ayant un niveau de français minimum A2.

Au cours des deux premières sessions, les participantes ont reconnu avoir acquis de nouvelles compétences, tissé un réseau, travaillé sur leurs points forts et donc augmenté leur confiance en elles. Certaines ont également parlé de la fierté qu’elles ont ressentie en réalisant un projet utile. Ces différents témoignages nous permettent de dire que les processus de valorisation et d’empouvoirement ont été engagés.

L’approche pédagogique adoptée donne aux femmes les outils (gestion de projet, prise de parole en public, maîtrise de technologies de l’information et de la communication) soit les moyens, pour réaliser une action. Elles ont la possibilité de choisir le projet qu’elles veulent mettre en œuvre et voient enfin le résultat de leur action collective puisque sa concrétisation bénéficie à d’autres. Les aspects de négociation et d’affirmation de son point de vue dans un climat de confiance, de respect et bienveillant contribuent à la reconnaissance par les autres tant au sein du collectif que par les personnes auxquelles les actions menées s’adressent. Ces éléments sont constitutifs des pédagogies émancipatrices et des processus d’empowerment.

Finalement, depuis plusieurs années, l’association F-information propose des bilans de compétences à Genève, pour différents publics et sous différentes formes. Leur point commun est qu’ils se déroulent tous en groupe sur plusieurs séances. Un travail individuel ou en plus petits groupes est également effectué tout au long du processus. Ce bilan a pour objectif d’identifier ses compétences, de faire le point sur son parcours et de se repositionner pour aller vers l’évolution souhaitée. Il se concrétise par la réalisation d’un portfolio personnel de compétences. Le « bilan-portfolio de compétences selon la méthode effe [3] » prend appui sur le partage en groupe et l’analyse des expériences de vie, de ses forces et de ses compétences. L’animation et l’approche de ces bilans de compétences donne un cadre pour que le groupe constitue une force encourageant chaque participante à gagner en confiance, et en estime de soi, mais aussi à aller de l’avant et à être actrice de sa vie et de son parcours professionnel. La reconnaissance par le groupe des expériences vécues et des compétences qui en émergent sont un aspect essentiel de ce processus.

En conclusion, les projets collectifs de F-information, mais également bien sûr ceux d’autres associations telles que l’espace de formation Voie-F, les Universités populaires, ou encore l’espace de formation Camarada sont pensés et conçus selon une approche émancipatrice des participant·es et apprenant·es. Le collectif constitue une force, un moteur pour aller vers davantage d’estime de soi et d’assurance. C’est pour cette raison que les activités collectives sont essentielles au sein de F-information et dans la société dans son ensemble.

 

Notes

[1] Paulo Freire s’intéresse à la relation qui peut exister entre l’enseignant·e et les apprenant·es dans le processus d’émancipation. Elle ne peut être unilatérale et implique donc que l’enseignant·e et les élèves soient dans une relation où chacun·e possède un savoir. Une éducation émancipatrice est une éducation qui permet de développer la capacité à être un sujet moral, soit une personne capable de faire des choix de manière éclairée et d’agir en conséquence. Source : https://iresmo.jimdofree.com/2019/05/28/qu-est-ce-qu-une-p%C3%A9dagogie-%C3%A9mancipatrice-ali%C3%A9nation-et-%C3%A9mancipation-en-p%C3%A9dagogie/

[2]  https://www.cairn.info/l-empowerment-une-pratique-emancipatrice–9782707186348-page-139.html

[3] https://effe.ch/formations-de-groupe/bilans-de-competences-groupe/