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Covid-19 et outils numériques : comment combler la fracture ?

 

Covid-19 et outils numériques : comment combler la fracture ?

Cette année 2020 marquée par le covid-19 a vu revenir sur le devant de la scène le concept de « fracture numérique », soit les inégalités et différences se creusant entre des personnes dans leur accès et leur utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC).  Si cette problématique est régulièrement soulevée depuis une quinzaine d’années [1], l’intensification du travail, des études, voire même des loisirs à distance l’ont rappelée avec acuité. A F-information, nous observons les conséquences que cette fracture peut avoir sur les situations professionnelles, socio-économiques voire personnelles de notre public. En complémentarité avec d’autres associations, nous tentons d’accompagner les personnes dans leurs démarches, en portant une attention toute particulière sur la maîtrise de ces outils aujourd’hui difficilement contournables.

Les inégalités dans l’accès et l’utilisation des TICS peuvent se creuser entre les pays (notamment selon l’équipement ou la couverture en réseau mobile) mais également au sein d’un même pays. La fracture que nous analyserons dans cet article concerne les inégalités entre individus vivant en Suisse, inégalités aussi bien d’accès que d’utilisation(s). Ainsi, l’Office Fédéral de la Statistique (OFS) a récemment souligné que malgré la généralisation de l’utilisation d’internet, il existe encore des fortes disparités. A titre d’exemple, dans les ménages à bas revenus (jusqu’à 4’000 CHF par mois), la proportion d’utilisateurs·trices régulier·ères d’internet représente 62% alors qu’elle atteint 98% pour les revenus de 10’000 CHF et plus [2].

 

  1. Toujours davantage de démarches administratives en ligne

Les conseillères de F-information observent une généralisation des démarches en ligne, et donc une hausse des demandes de soutien, que cela soit pour une postulation, une demande d’aide sociale, ou encore pour de simples formalités administratives (état civil, changement d’adresse, demandes de logement, demandes d’inscription en crèche ou au parascolaire…). Alors qu’elles sont nécessaires et inévitables pour un très large public, ces dernières sont conditionnées à la maîtrise et à l’accès aux outils informatiques. Face à ces exigences, certaines usagère·x·s les retardent voire y renoncent. Nous constatons qu’outre la problématique de l’accès aux outils informatiques, c’est aussi et surtout la problématique de la compréhension – à la fois technique et linguistique – qui limite. Ce constat justifie d’autant plus l’importance d’une présence encadrante et d’un soutien pédagogique dans le cadre des consultations ou des permanences.

Pour les conseillères, une grande partie du travail consiste à prendre le temps d’expliquer en quoi ces démarches consistent, quelles sont leur utilité et leurs potentielles conséquences, mais également quels sont les droits et les devoirs de chaque personne. Faire avec la personne permet de l’accompagner vers davantage d’autonomie administrative.  

En 2020, F-information a mis en place des « permanences impôts » lors desquelles les personnes qui le souhaitaient remplissaient avec la conseillère sociale et en ligne leur déclaration d’impôts. En outre, dans un futur proche, nous prévoyons de mettre en place des permanences administratives destinées au public des associations du Réseau Femmes* qui assureront un soutien à la fois pédagogique et logistique. Nous envisageons également des plages de permanence numérique consistant en des « dépannages » pour des problèmes techniques simples. Finalement, nous étudions également la possibilité de mettre en place, en collaboration avec des associations du Réseau Femmes*, des ateliers de postulation en ligne. De plus, F-information oriente régulièrement ses usagères vers l’espace de formation pour les femmes mis en place par Voie-F, qui propose des cours d’informatique sur plusieurs mois ainsi que des ateliers numériques courts sur des thématiques telles que l’utilisation de WhatsApp, la création d’une adresse mail et son installation sur le Smartphone, etc.

En somme, il est essentiel, afin de réduire l’écart numérique, de multiplier l’offre déjà existante. Cela permet ainsi d’éviter des exclusions en chaînes (sur le plan numérique, donc administratif, donc social, etc.).

 

  1. La maîtrise des TIC pour l’intégration, la socialisation et l’apprentissage

Auprès de la population migrante que nous recevons, et ceci tout particulièrement au sein du Réseau interculturel d’échanges de savoirs pour les femmes (RESI-F), nous constatons que les outils de communication numériques tels que le mail, WhatsApp ou encore les applications de visioconférence ne sont pas toujours maîtrisés.

Au sein du RESI-F, nous recevons régulièrement des demandes de soutien informatique. Nous essayons d’y répondre en mettant en lien les membres dans le cadre de nos échanges de savoirs, mais souhaitons également développer des cours collectifs, avec un accent sur les applications de visioconférence. En effet, nous nous sommes rendues compte durant les périodes de confinement de l’année écoulée qu’envisager des cours à distance n’était pas à la portée de tout le monde. Dans certains cas, ce sont les animatrices des cours elles-mêmes qui ne se sentent pas suffisamment à l’aise avec les moyens numériques. Nous avons de ce fait entrepris une démarche de sensibilisation et de partage de connaissances avec certaines enseignantes.

Il nous semble essentiel que ces outils – devenus incontournables pour l’interaction sociale voire dans certains cas l’apprentissage des langues – soient apprivoisés et davantage utilisés par nos membres. Ceci afin d’éviter la solitude ainsi que la perte de contact avec les personnes et les activités du quotidien. Cette démarche nous apparaît tout particulièrement importante pour des personnes migrantes non francophones qui ont souvent un réseau social moins actif et souhaitent maintenir le contact avec des personnes francophones pour améliorer leur français.

Toutefois, avant d’imaginer généraliser la communication numérique au sein du RESI-F, nous avons pour priorité que les personnes parviennent à maîtriser un minimum ces outils. Si nous encourageons donc nos membres à communiquer par mail plutôt que par courrier postal, nous procédons progressivement et restons à l’écoute des besoins et des possibilités de chacune afin de ne laisser personne de côté.

 

  1. Garantir un accès à l’information pour chaque personne à la bibliothèque

Une des missions principales des bibliothèques est de garantir un accès le plus universel possible à l’information. Or l’information étant de plus en plus diffusée par le biais du numérique, la bibliothèque Filigrane prend très à cœur le fait de jouer ce rôle de « facilitatrice ».

En effet, nous constatons à la bibliothèque que les lectrices·teurs sont inégales·aux face à la numérisation de la société. C’est pourquoi un travail d’accompagnement pour certains services de la bibliothèque (recherche sur le catalogue, inscription sur le réseau, etc.) est régulièrement assumé par les bibliothécaires. En plus de cet accompagnement de type « pédagogique », la bibliothèque met à disposition un wi-fi gratuit, une tablette et une photocopieuse afin de pallier les potentielles inégalités d’accès.  Finalement, comme tout le monde n’est pas en mesure de consulter le catalogue à distance avant de venir chercher ses livres, il nous semble essentiel de maintenir et de privilégier les emprunts sur place, afin de maintenir également tant que faire se peut le lien social direct.

Si nous réfléchissons à développer dans le futur notre fond de livres numériques, nous sommes conscientes que cela demandera un accompagnement, voire la mise en place de prêts de liseuses pour assurer un accès équitable.

En somme, les projets actuels ou prévus dans les différents secteurs de F-information et de la bibliothèque Filigrane ont tous pour but de développer la littératie numérique, soit la capacité à comprendre et maitriser internet et les technologies de l’information, afin que chaque personne soit en mesure d’accéder à l’information et soit donc outillée pour connaître ses droits. C’est seulement ainsi que nous pourrons tendre vers une société plus égalitaire et plus inclusive.

 

Notes:

[1]  Granjon Fabien, « Fracture numérique », Communications, 2011/1 (n° 88), p. 67-74. DOI : 10.3917/commu.088.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-communications-2011-1-page-67.html, Ben Youssef Adel, « Les quatre dimensions de la fracture numérique », Réseaux, 2004/5-6 (n° 127-128), p. 181-209. URL : https://www.cairn.info/revue-reseaux1-2004-5-page-181.html, Marron, Nicolas « Intersectionnalité et genre face aux inégalités numériques – Repères critiques à destination de l’Éducation permanente », 2017 https://arc-culture.be/blog/publications/intersectionnalite-et-genre-face-aux-inegalites-numeriques-reperes-critiques-a-destination-de-leducation-permanente/

[2] « Culture, médias et société de l’information: Panorama », OFS, mars 2020.

https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/culture-medias-societe-information-sport.assetdetail.13695324.html,