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Interview croisée de Sylvie Fischer et Geneviève Bordry, nouvelle et ancienne responsable associative

 

Deux femmes de cœur, deux femmes de tête, deux femmes inspirantes, au parcours très différent, qui se transmettent les rênes de F-information en ce début 2022. Elles se livrent à cet entretien croisé.

Trois adjectifs/qualificatifs pour te présenter en quelques mots?

Sylvie Fischer (SF)
«En mouvement». Je suis quelqu’un qui aime les nouveaux projets, développer de nouvelles choses, et… j’adore danser 😉 L’immobilisme ne me convient pas.
«Intéressée». Par de nombreux sujets, mais en particulier par ce avec quoi j’ai du lien ou ce sur quoi j’ai prise. Car il y a tellement d’informations sur tout que l’on s’y perd. J’ai besoin de rester connectée aux choses.
«Synthétique». Après avoir entendu tous les points de vue, avec une vision large, je parviens souvent à faire des propositions qui rassemblent.

Geneviève Bordry (GB)
«Pugnace». Quand j’ai une idée à laquelle je crois, je ne lâche pas. Je mets tout en œuvre, je fais jouer mes réseaux, je peaufine/mature les choses dans ma tête pour avancer. Et je suis animée par un besoin de justice.
«Mise en lien». J’aime mettre les gens en lien. Avoir cette vision de qui pourrait être intéressé·e par quoi ou utile où. Ça va avec cette ouverture et cette souplesse que j’apprécie, tant qu’on ne perd pas le sens de ce que l’on fait.
«Énergique et enthousiaste». Cette vitalité est souvent utile aux équipes et aux dynamiques de groupe, les personnes se sentent soutenues et accompagnées. Ou noyées 😉
«Intuitive et spontanée». Avec mon côté rebelle, je rajoute ce quatrième qualificatif 😉 je sens quand je peux me lancer, faire confiance. C’est un élan qui me fait garder malgré tout espoir dans l’humain.

Qu’est-ce qui t’a motivée à t’engager à F-information?

SF. Aussi loin que remonte mes souvenirs, les questions d’inégalités et d’injustice me travaillent (voir ici le texte de présentation extrait de la newsletter de F-information de janvier 2022): à travers mon enfance, mon vécu dans une famille aimante et au fonctionnement patriarcal, mes questionnements à l’adolescence où j’ai rué dans les brancards. C’est autour de ces questions que j’ai co-réalisé mon travail de recherche en travail social, une enquête sur les projets de vie de femmes âgées de 20 à 30 ans avec, comme problématique, la conciliation entre vies professionnelle, privée et familiale. Puis, je me suis engagée dans beaucoup d’autres projets, mais ces questions m’ont toujours accompagnées. Dans les années 1990, le féminisme était perçu comme ringard. Il semblait que tout était acquis. On voit comme c’est une question cyclique, qu’il y a encore beaucoup à faire et qu’en plus, il n’y a pas qu’une seule définition du féminisme, mais tout une palette.
Chacune reçoit des coups dans sa vie, qui sont souvent liés à notre condition de femmes*, et j’avais envie de donner de l’énergie et de mettre mes compétences au service de cette cause.

GB. Quand je suis arrivée à Genève, j’ai pris le bottin, j’ai cherché sous «centre», j’ai lu centre F-information, j’ai appelé pour me renseigner et j’ai démarré comme bénévole… (écouter ici le podcast réalisé par Radio Cité à l’occasion des 40 ans de l’association, octobre 2021). En tant que «migrante», mettre un pied dans cette association, c’était un moyen de créer du lien social, de m’intégrer, de m’insérer. Ensuite, j’ai été chargée de la documentation, j’ai assuré des consultations psycho-sociales et enfin j’ai été coordinatrice puis responsable associative. Ce qui m’a motivée, c’est que c’était un lieu de femmes, qui défendait les droits des femmes, l’humanisme et une société plus solidaire, un lieu qui avait une vision large du féminisme. J’ai été marquée par mon parcours personnel dans un pays en voie de développement – le Brésil. J’avais besoin de faire vivre mes valeurs, de contribuer comme je le pouvais à un monde meilleur, plus humain. Et j’ai apprécié que ce soit orienté prioritairement sur les femmes car j’avais vu, depuis mes études, comme les femmes paient cher toutes ces discriminations.
Par ailleurs, j’ai beaucoup aimé le système d’autogestion et l’horizontalité à F-information. Si j’y suis restée si longtemps [ndlr: 33 ans], c’est parce que c’est un lieu créatif, réactif, qui permet de développer des projets s’ils répondent à un besoin. Il y a une liberté d’action qui nous est laissée par le comité et une recherche de sens constante qui évolue avec le temps.

Quelles sont les belles réalisations ou moments dont tu te souviendras?

G.B. Oooh, il y en a eu! Je pense aux différentes phases d’agrandissement des locaux qui permettaient à chaque fois de développer des prestations, notamment des activités collectives et de groupe, et des projets novateurs. Un des grands moments a été la reprise de la bibliothèque Filigrane en 1998 et surtout le regroupement en un seul lieu au 67, rue de la Servette.
Il y a aussi eu la mise en place du réseau Femmes*, plus récemment les Bastions de l’Égalité et la participation à la grève féministe de 2019 qui ont été des moments incroyables, et puis la création des Six Logis. Enfin, actuellement, les prémisses d’un projet d’envergure pour les femmes* à Genève…
Je me rappellerai tant de moments de rires et de fous-rires entre nous, les journées d’échanges et de réflexion resteront aussi dans ma mémoire, et nos débats épiques et sans fin sur le féminisme…!

Quelles sont les principaux chantiers que tu vois s’annoncer?

S.F. Il y a une clarification des engagements de F-information face aux questions actuelles d’inclusion et de genre. Sa vocation généraliste est importante, elle doit rester ouverte à toutes les femmes*. Un autre chantier en lien avec l’actualité est celui de l’écologie. Comment prendre en compte la Terre, ne plus la percevoir uniquement comme objet à utiliser mais comme un système auquel on appartient, de la même façon que tout être vivant sur cette planète. Et se poser la question de comment s’engager en tant que femmes* par rapport à ces questions-là. Dans l’absolu, j’aimerais qu’un jour on n’ait plus besoin de parler de féminisme ou d’écoféminisme… cela voudra dire que la société aura suffisamment changé. Enfin un dernier enjeu, très important pour moi, c’est celui de l’art et de la culture. L’art est vraiment une manière de rendre notre société plus belle, plus juste. Il amène des questionnements essentiels, une ouverture et des perspectives. Je souhaite renforcer la médiation culturelle à F-information comme outil d’émancipation, au sens large.

Un dernier mot aux lectrices et lecteurs?

S.F. Merci d’être là, de lire ces interviews, cela signifie que vous portez un réel intérêt pour la mission et les activités de F-information qui se veut représentative de la moitié de la population. Et je vous invite à rester dans le questionnement. Car tant qu’il y a une question, il y a une possibilité de changement, d’ajustement, de justesse dans le propos.
Merci également à toutes celles qui, par leur engagement professionnel ou bénévole, ont permis à F-information d’être ce qu’elle est aujourd’hui.

G.B. Je voudrais dire merci. Merci à toutes ces femmes que j’ai rencontrées, à celles que j’ai accompagnées dans les consultations. Je garderai en moi tout ce qu’elles m’ont appris à travers leurs histoires de vie, absolument dingues, époustouflantes parfois de souffrances mais aussi de résilience, d’humanité… cela est profondément inscrit en moi. Je reste admirative face à leur force de vie et à leur résistance. Bien sûr, il y a eu des moments difficiles et douloureux dans ces accompagnements. Tous ces parcours de vie tellement divers, si différents du mien… Cela donne une relativité, une ouverture d’esprit et une humilité. Et cela m’a énormément construite. Enfin, bien sûr, merci à toutes mes collègues de F-information et des réseaux partenaires. Si je suis ce que je suis, c’est aussi grâce à toutes ces personnes.