« Revenir

Garde parentale alternée:panacée d’égalité?

 

Garde parentale alternée : panacée d’égalité ?

Les récents changements légaux en matière de droit des familles concernent entre autres le sort des enfants et l’exercice des droits parentaux, dont la question de la garde parentale. En effet, parmi les principales modifications entrées en vigueur au 1erjanvier 2017 figure l’inscription de la garde alternée dans le Code civil.

A l’aune de la grève féministe du 14 juin 2019, de l’évènement genevois des Bastions de l’égalité le 15 juin 2019, et des débats qui animent toutes ces manifestations, la question de la répartition des tâches familiales, avant ou après une séparation parentale, a toute sa place !

Quels sont les changements introduits dans la loi ?

L’autorité parentale conjointe est désormais la règle (depuis le 1erjuillet 2014), puisqu’elle est en principe attribuée aux deux parents, indépendamment de leur état civil, à moins que le bien de l’enfant ne soit considérablement compromis et justifie une garde exclusive. Cela peut être le cas lors d’une incapacité de communication ou de coopération importante et persistante des parents[1]. Même en cas d’autorité parentale conjointe, les décisions courantes ou urgentes, ou si l’autre parent ne peut être joint moyennant un effort raisonnable, peuvent être prises par le parent qui prend en charge l’enfant[2].

L’autorité parentale comprend le droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant[3]. Elle n’inclut en revanche pas nécessairement l’instauration d’une garde alternée[4]. Néanmoins, le juge doit examiner si une garde alternée est dans l’intérêt de l’enfant, et ceci indépendamment de l’accord des parents[5]. Depuis le 1erjanvier 2017, en cas d’autorité parentale conjointe, la loi prévoit expressément que le juge, ou l’autorité de protection de l’enfant (pour les parents non mariés) « examine,selon le bien de l’enfant, la possibilité de la garde alternée, si le père, la mère ou l’enfant la demande »[6].

Le bien de l’enfant en priorité

La garde alternée doit toujours correspondre à l’intérêt de l’enfant, qui demeure la règle fondamentale dans le cadre de l’exercice des droits parentaux. Le juge doit examiner dans le cas concret si une telle solution de garde préserve effectivement le bien de l’enfant[7].

La garde alternée (ou partagée) n’est pas définie par la loi. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, elle consiste en une prise en charge de l’enfant de manière alternée entre les parents pour des périodes plus ou moins égales[8]. Il n’existe pas de pourcentage minimal de prise en charge requis pour la garde alternée[9]. Plusieurs critères doivent être pris en considération comme prérequis à l’instauration d’une garde alternée qui soit conforme au bien de l’enfant. On vérifiera ainsi les capacités éducatives des parents, leur capacité et leur volonté à coopérer (un conflit persistant constitue un motif de refus), la situation géographique (en particulier la distance entre les logements des parents), la stabilité pour l’enfant du maintien de la situation antérieure, la possibilité pour chaque parent de s’occuper personnellement de l’enfant, on tiendra compte de l’âge de l’enfant, de son appartenance à une fratrie, de ses souhaits[10]. Même si l’accord des parents n’est plus une condition nécessaire à la garde alternée, l’absence d’accord peut être un indicateur d’un contexte parental où la garde alternée ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant[11].

Modèle d’égalité ?

Ce modèle de garde est mis en avant notamment par des organisations de défense des droits des pères (qui ont effectué un important lobbying en faveur des changements législatifs relatifs à l’autorité parentale conjointe et à la garde alternée) comme une règle qui devrait être imposée. Certaines organisations considèrent ainsi que ce modèle de garde permettrait « de corriger les inégalités », et regrettent une application insuffisante de la loi, la garde alternée n’étant pas « systématiquement envisagée par les juges »[12]. Cette solution serait aussi la meilleure formule au vu de l’effritement d’un modèle de famille traditionnel en Suisse[13]. Or comme le souligne l’avocate Camille Maulini, ce qui ressort de la pratique des juges est d’abord le maintien de la situation prévalant avant la séparation, laquelle ne fait que refléter un modèle de société encore marqué par les inégalités de genre dans la prise en charge des enfants[14].

En effet, on peut observer un certain hiatus entre le fait de prôner un « modèle » de garde alternée d’une part, et la réalité concrète de la répartition inégalitaire des tâches ménagères et des soins aux enfants d’autre part. Tandis que la responsabilité partagée des deux parents dans la prise en charge de l’enfant devrait découler d’un principe général de distribution des tâches éducatives et domestiques, y compris durant la vie commune, on constate que cette prise en charge demeure statistiquement largement assumée par les femmes[15].

D’ailleurs, le législateur lui-même n’a pas souhaité faire de la garde alternée la règle ; il a exprimé sa préférence pour ce mode d’organisation « sans vouloir le prescrire comme modèle unique »[16]. Le Conseil fédéral a par la suite confirmé, sur la base d’une étude interdisciplinaire, qu’il n’est pas souhaitable d’ériger la garde alternée en modèle prioritaire, au vu notamment des inégalités économiques entre femmes et hommes qui se répercutent sur l’investissement inégalitaire dans les tâches familiales[17]. Le Conseil fédéral préconise la recherche de solutions individuelles, dans le respect du bien de l’enfant.  

Dans la pratique, certaines confusions

Concrètement, la garde alternée invoquée au moment d’une séparation constitue-t-elle un indicateur d’égalité au sein du couple ? Chaque cas est particulier et les situations sont plurielles. Dans certaines situations, les parents ont effectivement une recherche d’un partage équilibré des tâches, avec par exemple une réduction équivalente du taux d’activité professionnelle et une prise en charge concrète des enfants réellement répartie, y compris avant la séparation. Dans d’autres cas, la garde alternée intervient au contraire plutôt comme un élément du conflit lors de la séparation, notamment autour de la question de la pension alimentaire, et ne reflète pas une prise en charge partagée réellement vécue au sein du couple. En effet, il arrive régulièrement, lors de consultations juridiques à F-Information, que des personnes pensent qu’une garde alternée règle la question pécuniaire de la contribution d’entretien due à l’enfant, et que par conséquent, en prévoyant ce mode de garde, aucune pension ne sera due. Cet argument est parfois utilisé dans le cadre d’un conflit comme moyen de pression.

Garde parentale et contribution d’entretien

Rappelons à cet égard que les parents contribuent ensemble, chacun selon ses facultés, à l’entretien convenable de l’enfant, qui est assuré par les soins, l’éducation et les prestations pécuniaires[18].Le calcul de la contribution d’entretien se fonde sur les besoins de l’enfant et sur la situation et les ressources des parents[19]. La loi ne mentionne pas expressément la garde comme critère de répartition entre les parents des frais d’entretien de l’enfant. Il est toutefois admis qu’il convient de tenir compte d’un éventuel entretien en nature. C’est pourquoi l’on prendra en compte dans la répartition de l’entretien à la fois la capacité contributive de chaque parent et les éventuelles prestations fournies en nature[20].

En cas de garde alternée, si les revenus sont équivalents, le partage des frais se fera moitié-moitié, s’ils sont déséquilibrés, en fonction du disponible (en situation moyenne) ou proportionnellement au revenu (en situation confortable)[21]. Ainsi, un parent ayant un revenu « sensiblement plus important » peut devoir des prestations pécuniaires en plus des soins et de l’éducation[22]. Le lien entre garde et contribution n’est donc pas mécanique, mais pondéré en fonction des différents éléments en présence (besoins non couverts de l’enfant, argent disponible des parents, et prise en charge en nature). Même en situation de garde alternée, la question de la capacité contributive reste donc déterminante.

 Pas un modèle, mais des changements sociaux

Ainsi, plutôt qu’un modèle de garde alternée à ériger en règle et de manière déconnectée de la réalité des inégalités encore en cours, la question fondamentale est bien plus celle d’une transformation structurelle en matière notamment de répartition des tâches familiales, de temps de travail, de salaire, de politique familiale (structures d’accueil, congé parental égalitaire, etc.), favorisant véritablement une participation des deux parents à la prise en charge des enfants.

[1]ATF 141 III 472, consid. 4.

[2]Art. 301 al. 1bis CC.

[3]Article 301a CC.

[4]Arrêt du Tribunal fédéral 5A_406/2018 du 26 juillet 2018, consid. 3.1 (et les références citées).

[5]Arrêt du Tribunal fédéral 5A_406/2018 du 26 juillet 2018, consid. 3.1 (et les références citées).

[6]Article 298 al. 2ter CCet article 298b al. 3ter CC.

[7]Arrêt du Tribunal fédéral 5A_406/2018 du 26 juillet 2018, consid. 3.1 (et les références citées).

[8]Arrêt du Tribunal fédéral 5A_345/2014 du 4 août 2014, consid. 4.2 (et les références citées).

[9]Michèle Cottier, « l’autorité parentale conjointe et la garde alternée en droit suisse », Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE). Les nouvelles formes de parentalité : Le temps du partage…et l’enfant ? Actes du 7eColloque printanier du Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) de l’Université de Genève et de l’Institut international des droits de l’enfants (IDE), Sierre – 20 mai 2016 – Sion. 2017, p. 35, accessible sur : https://archive-ouverte.unige.ch/unige:97970, p. 35.

[10]ATF 142 III 617, consid. 3.2.3

[11]Michèle Cottier, op.cit, p. 35.

[12]Gilles Crettenand, coordinateur de maenner.ch, Le Temps,16.05.2018.

[13]http://www.crop.ch/pptg-garde-alternée.html.

[14]Le Temps,16.05.2018.

[15]Office fédéral de la statistique, Les familles en Suisse. Rapport statistique 2017,https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/familles.assetdetail.2347881.html, pp. 37-39.

[16]Michèle Cottier, op.cit, p. 37.

[17]Voir le rapport et le communiqué de presse du Conseil fédéral, faisant suite à une intervention de la Commission des affaires juridique au Conseil national, https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/aktuell/news/2017/ref_2017-12-08.html. Voir également le compte-rendu suivant dans la revue Plaidoyer : https://www.plaidoyer.ch/article/f/la-garde-alternee-au-cas-par-cas/.

[18]Article 276 al. 1 CC; article 276 al. 2 CC.

[19]Article 285 al. 1 CC.

[20]Arrêt du Tribunal fédéral 5A_583/2018 du 18 janvier 2019, consid. 5.1.

[21]Céline de Weck-Immelé, Plaidoyer,5/18, p. 35

[22]Arrêt du Tribunal fédéral 5A_583/2018 du 18 janvier 2019, consid. 5.5.1.