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Inégalités sociales : aujourd’hui … et demain ?

 

Inégalités sociales : aujourd’hui … et demain ?

Note rédactionnelle

  • nous emploierons dans ce texte le féminin générique pour des fins de lisibilité. Cela inclut toutes les identités de genre.
  • l’appellation « femme » désigne dans ce texte toute personne qui se reconnaît comme telle.

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Il y a maintenant trois ans, la Grève féministe du 14 juin investissait les rues de toute la Suisse avec à la fois une diversité et une convergence des luttes rares.

Des revendications telles que l’arrêt de la discrimination salariale, la valorisation du travail domestique et du care [1] ainsi que des rentes permettant de vivre dignement occupaient une place centrale, tout comme la prise au sérieux plus importante des victimes de viol, de violences ou d’abus. La fin des discriminations des personnes LGBTIQA+ de même que des discriminations racistes étaient également demandée. D’autre part, un nombre important de revendications s’attaquait aux stéréotypes de genre, que cela soit dans l’éducation, la culture ou encore les médias.[2]

En 2020 et en 2021, la pandémie n’a fait qu’exacerber les problématiques existantes. Elle a rappelé une réalité pourtant tristement connue : les femmes assument au quotidien la majorité des tâches essentielles au soin à autrui, que ce travail soit rémunéré ou pas. La crise sanitaire a intensifié la précarité des personnes aux contrats temporaires ainsi que celle des travailleuses sur appel, parmi lesquelles les femmes migrantes sont surreprésentées.

À F-information, nous constatons que les thématiques que nous faisons remonter de notre pratique de terrain évoluent malheureusement peu. En effet, nous n’avons de cesse d’alerter via nos différents moyens de communication et de sensibilisation l’imbrication entre travail non-reconnu et/ou non-valorisé, précarité, tensions autour du logement et situations de violence.

Dans cet article, nous souhaitons reprendre les problématiques rencontrées plus spécifiquement dans les consultations psycho-sociales de F-information. Sans surprises, celles-ci rejoignent les revendications prégnantes de la Grève féministe. Nous présenterons donc nos constats de terrain mais, parce que nous voulons imaginer un avenir meilleur et plus égalitaire, nous formulerons également des revendications et des propositions concrètes.

Les femmes surreprésentées parmi les « working poor »

Que l’on parle du travail rémunéré ou non rémunéré, celui des femmes n’est pas reconnu ni rétribué à sa juste valeur. La discrimination salariale a augmenté au cours des dernières années. L’écart discriminatoire est aujourd’hui en moyenne de 8.6%, soit 690 francs par mois.[3] Cette inégalité salariale est criante dans l’absolu (en prenant en comptes les emplois dans leur ensemble), mais également à travail égal. Parmi les personnes ayant accompli une haute école universitaire, les femmes gagnent 2322 francs suisses de moins par mois que les hommes. Ainsi, plus la formation est élevée, plus l’écart salarial est important.

Une classe sociale de personnes travaillant mais se trouvant dans l’obligation d’avoir recours à l’aide sociale a émergé, celle-ci est d’autant plus représentée dans les familles monoparentales avec des femmes à leur tête. On parle alors de « working poor » (travailleuses pauvres). En 2019, un tiers des femmes recourant à l’aide sociale avaient un emploi, alors que seulement 22 % des hommes se trouvaient dans cette situation. (OFS, 2019).

En ce qui concerne la retraite, les femmes touchent un tiers de rente en moins que les hommes. Cet écart reflète les inégalités de revenu et d’accès au travail accumulées pendant toute la carrière professionnelle[4]. En conséquence, pour de nombreuses femmes, la retraite signifie un risque accru de se retrouver en situation de précarité. Une femme sur 10 doit demander des prestations complémentaires pour améliorer des rentes trop basses. Cependant, le Parlement a adopté la réforme AVS 21 en décembre 2021. Celle-ci prévoit une augmentation de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, ce qui aura des conséquences importantes sur les rentes des femmes. La population suisse votera prochainement sur cette réforme, contre laquelle un référendum a abouti le 29 avril dernier.

  1. Nos constats

Dans le cadre de nos consultations psycho-sociales, nous constatons qu’un grand nombre de femmes sont dépassées par les démarches administratives exigées pour obtenir des prestations sociales et n’y font donc pas appel alors qu’elles y auraient droit. Dès lors, un accompagnement sur le moyen terme augmente la probabilité que les démarches soient réalisées jusqu’au bout. Ainsi, même si notre mandat n’est pas d’effectuer un suivi social, nous y sommes régulièrement conduites.

En outre, de nombreuses personnes qui nous consultent expriment leur crainte de perdre leur permis de séjour si elles ont recours à l’aide sociale. Cette crainte n’est pas totalement infondée, mais les critères réels sont peu précis et transparents. Nous nous sentons tout particulièrement impuissantes par rapport aux femmes sans statut légal, puisque beaucoup de fondations, de régies et d’employeurs ont pour critères un statut de séjour valable pour entrer en matière.

Nous intervenons parfois avec des aides financières directes et ponctuelles, ou encore avec des aides « en nature » (bons alimentaires, vestiaire social, etc.). Même s’il s’agit d’une solution à court terme, ce type d’aide peut permettre de débloquer des situations et d’éviter des surendettements. Nous avons l’avantage d’une certaine flexibilité qui nous permet d’agir « en complément » à l’aide sociale et de jouer un rôle de « relais » entre les institutions et les personnes.

En effet, les femmes nous relatent fréquemment une incompréhension des démarches administratives à entreprendre pour obtenir des prestations sociales. La barrière de la langue, mais également la complexité des situations et des démarches administratives, nous obligent à reprendre la situation dans sa globalité, à décortiquer les actions déjà réalisées pour ensuite pouvoir agir.

Nous tentons de renforcer le dialogue avec nos partenaires de l’Hospice général pour pouvoir donner des réponses concrètes aux usagères, les orienter et les rassurer, car bien souvent, elles se sentent perdues, seules et stressées par les allers-retours entre les institutions.

Finalement, notre fort ancrage dans le réseau associatif genevois nous permet de réorienter certaines personnes afin que l’on puisse mieux répondre à leur demande et situation spécifique. 

  1. Nos revendications

Pour améliorer le suivi et les prestations offertes à notre public, une meilleure communication entre les institutions sociales et les associations nous semble nécessaire. Un renforcement du travail en réseau permettant d’échanger sur les suivis serait bénéfique pour toutes les professionnelles de l’accompagnement social, et in fine, pour les usagères.

Par ailleurs, nous souhaiterions un accès facilité aux prestations sociales d’un point de vue administratif, ainsi qu’une réduction des longs délais de réponse, qui sont certainement une conséquence de la surcharge des institutions sociales. Un élargissement du système social actuel avec des prestations répondant à des situations spécifiques (par exemple les prestations pour chômeurs et chômeuses âgées mises en place dans le canton de Vaud ou les dispositifs de formation pour jeunes et adultes en difficulté dans les cantons de Vaud et Genève) permettrait de réduire l’aide sociale et une partie des aides « en nature »[5]. Mais aussi et surtout, il engendrerait des améliorations durables des situations socio-économiques.

Politique familiale défaillante : les femmes en première ligne

L’accès des femmes au travail salarié se heurte bien souvent à la disponibilité de places d’accueil pour les enfants. À défaut, l’expérience montre que ce sont davantage elles qui réduisent ou stoppent leurs activités.

Les chiffres sont parlants pour des diplômées de formations professionnelles (17% des femmes à temps partiel contre 7% des hommes) comme pour les universitaires (37% des femmes à temps partiel contre 22% des hommes[6]). Cette différence s’inscrit dans un contexte global (absence de réel congé paternité, poste à responsabilité encore largement masculins, etc.) qui a des conséquences en cascade (moindre investissement familial des pères, précarité des femmes dans le cas de séparation et au moment de la retraite, etc.).

  1. Nos constats

Nous constatons que la responsabilité du soin et de la garde des enfants reste en effet essentiellement celle des femmes. Cette réalité constitue un nœud central de futures inégalités dans le domaine professionnel et, de facto, dans les situations socio-économiques des membres de la famille.

Actuellement, le taux de travail des deux parents est l’un des critères d‘admission pour une place en crèche (un couple qui travaille à 100% aura davantage de chances que leur enfant soit pris en charge). Or cette sélection ne permet pas à la personne sans emploi ou à temps partiel (très souvent la mère) de dégager du temps pour chercher du travail ou augmenter son taux. Un « cercle vicieux » s’instaure, puisque les différences et inégalités d’investissement au sein de la famille se maintiennent, faute d’options de garde.

Nous recevons également de nombreuses familles monoparentales qui cumulent différents contrats à temps partiel et/ou sur appel. Cette irrégularité et potentielle précarité professionnelle se répercutent sur les solutions de garde, qui doivent être trouvées au dernier moment et à un coût souvent plus important.

Dans des situations de séparation où la mère a la garde, si le père n’assume pas sa part financière liée aux enfants, c’est la mère qui doit entreprendre les démarches pour obtenir le montant de la pension alimentaire. Les frais qu’engendre cette procédure sont à sa charge. Si le montant est fixé mais que le père ne paie pas, c’est à nouveau à la mère d’entreprendre les démarches auprès du SCARPA (Service cantonal d’avance et de recouvrement des pensions alimentaire). Selon nous, ce processus lourd et coûteux met en lumière que le système administratif actuel ne responsabilise pas assez les pères dans leurs obligations.

  1. Nos revendications

Au vu de ces constats, le premier « rêve » qui nous semble pourtant une évidence serait que l’État assure une place en crèche par enfant résidant dans le canton. A l’instar de l’école publique, la prise en charge des enfants en bas âge constitue une responsabilité sociétale, et l’accessibilité à ces services est une étape essentielle pour atteindre l’égalité. 

Dans l’immédiat et en complément aux crèches publiques, nous imaginerions des moyens de garde alternatifs au niveau des quartiers. Ce type de lieux, moins contraignants en termes de normes, pourraient être autogérés. La prise en charge des enfants serait tournante (pour les mères comme pour les pères) et une collaboration serait à imaginer avec les espaces de quartier et des bénévoles possédant des compétences dans le domaine de la petite enfance

Actuellement, des espaces de formation et de rencontres pour les femmes migrantes tels que le CEFAM[7] ou Camarada[8] proposent des « espaces enfants » gratuits lorsque les mères fréquentent leur structure. Une démarche similaire est réfléchie au sein du projet de lieu qui réunira d’ici quelques années plusieurs associations du Réseau Femmes*, dont F-information. Une « halte-garderie » prendrait en charge les enfants durant des moments ponctuels durant lesquelles les femmes doivent se rendre à un rendez-vous professionnel, à un cours ou à une consultation.

En somme, au vu de l’imbrication de ces différentes problématiques et de leurs conséquences en chaîne, il nous paraît primordial d’agir rapidement sur des aspects concrets tels que la valorisation égale du travail (rémunéré et non), les critères et les moyens d’accès aux prestations sociales, l’âge de la retraite ou encore la politique familiale. A notre sens, ces changements sociétaux constituent des fondements essentiels pour une évolution des mentalités et l’avènement, dans les faits, de l’égalité entre les genres.

 

Notes

[1] «une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie» (Fisher/ Tronto, 1990, p. 40). (https://avenirsocial.ch/wp-content/uploads/2021/10/AS_07_21_012_015_Point_fort_Einstieg.pdf)

[2] https://anneepolitique.swiss/prozesse/60007-greve-feministe-et-des-femmes-du-14-juin-2019

[3] https://www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home/themes/travail/egalite-salariale/bases/chiffres-et-faits.html

[4] Ibid.

[5] https://lecourrier.ch/2022/05/29/reformer-laide-sociale/

[6] [6] https://www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home/themes/travail/egalite-salariale/bases/chiffres-et-faits.html

[7] http://www.cefam.ch/CEFAM.html

[8] https://www.camarada.ch/espace-enfants/