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Mère au foyer : un métier aux compétences peu reconnues

 

Mère au foyer : un métier aux compétences  peu reconnues

Entre choix personnel et contraintes sociales

Actuellement en Suisse, environ une mère sur cinq entre dans la catégorie « femmes au foyer », c’est-à-dire qu’elle n’est pas présente sur le marché du travail rémunéré. Cette proportion ne cesse de baisser depuis un quart de siècle. Si bien qu’en comparaison européenne, la Suisse est, après le Suède, le pays ayant le plus fort taux d’activité professionnelle féminin, dépassant les 80%. Mais elle est aussi en tête pour ce qui est du temps partiel chez les femmes : 8 mères sur 10 exercent leur activité professionnelle à temps partiel [1].

Les traditions patriarcales encore fortes en Suisse et la division sexuée du travail perpétuent la différenciation des rôles. Ainsi, le poids de la charge familiale portée par les femmes et le manque de structures d’accueil pour les enfants ne favorisent pas la carrière continue des mères. Les mentalités évoluent lentement : « plus du tiers des hommes et environ un quart des femmes pensent qu’un enfant souffre lorsque sa mère travaille, selon les données de l’OFS »[2]. La maternité est encore trop souvent considérée par les entreprises comme problématique et peu d’entreprises mettent en place des mesures permettant aux mères de garder le lien avec elles lorsqu’elles prolongent leur congé de maternité. La femme étant souvent celle qui a le revenu le plus bas au sein du couple et la taxation progressive des couples mariés ne favorisant pas le maintien de deux salaires, un calcul financier peut inciter les mères à se retirer du marché du travail pour un certain temps. En moyenne, les mères interrompent leur activité professionnelle pendant 5 ans pour se consacrer à la famille. L’arrivée d’un enfant est un frein à la carrière des femmes, alors qu’elle n’entraîne pas de modification significative sur celle des pères.

Conséquences des interruptions professionnelles et des temps partiels

Les arrêts temporaires de travail et les temps partiels sont des obstacles à l’occupation de postes à responsabilité et hiérarchiquement élevés. La plupart des promotions se font dans la période où les femmes fondent une famille, soit entre 31 et 40 ans [3].

Les temps partiels et les emplois faiblement rémunérés, que ce soit en raison de la situation professionnelle ou des inégalités salariales persistantes entre femmes et hommes (7% à 19% d’écart selon les calculs) ont des conséquences à plus long terme. En effet, le système de retraite en Suisse est encore basé sur un schéma d’emploi à plein temps, sans interruption et sans obligation pour les employeurs et employeuses de cotiser dès le 1er franc. Aussi, lors d’un divorce ou d’un départ à la retraite, les femmes se retrouvent plus souvent que les hommes dans une situation de précarité financière. En 2018, la rente médiane de vieillesse versée pour la première fois par la prévoyance professionnelle s’élevait à 1’165.- francs par mois pour les femmes et à 2’217.- francs par mois pour les hommes [4].

Mais au fait … c’est quoi être une mère au foyer ?

Loin d’être homogène, le groupe des femmes ou mères dites « au foyer » est très divers quant à la composition du ménage, de l’organisation familiale, des tâches et responsabilités endossées ou partagées, des engagements extra-familiaux entre autres. Les mères au foyer sont également diverses dans leurs choix de vie et dans la manière dont elles s’investissent en tant que mère ou se projettent comme personne active professionnellement.

Des mères au foyer disent qu’elles pensaient arrêter leur travail pour une ou deux années à la naissance des enfants, qu’elles n’avaient pas envisagé de devenir femme au foyer. Mais comme elles s’engagent fortement dans la famille, c’est au moment où les enfants deviennent plus autonomes qu’elles se rendent compte du passage des années et de leur éloignement du marché du travail. D’autres ont fait le choix de se consacrer entièrement à la famille et ne souhaitent pas renouer avec le monde du travail. D’autres encore ont de la peine à se situer car, tout en étant au foyer, elles ont été actives dans le cadre d’engagements bénévoles ou travaillé auprès du conjoint sans reconnaissance ni rétribution financière, mais peinent à prendre une nouvelle direction.

Faire l’école à la maison, ou plus simplement suivre la scolarité de ses enfants et s’assurer de leur bonne intégration et réussite scolaire, s’occuper d’un enfant malade ou ayant des difficultés spécifiques sur plusieurs années, assurer un confort matériel et affectif à toute la famille, organiser les activités quotidiennes de tout le monde, les loisirs et vacances, les soins médicaux, gérer le budget familial, faire l’interface entre la famille et le monde extérieur ….. Toutes ces activités et responsabilités sont génératrices de compétences qui ont leur pendant dans le monde professionnel.

Cependant, pour celles qui souhaitent reprendre une activité rémunérée une fois que les enfants ont grandi, ou parce qu’elles sont obligées de subvenir à leurs besoins suite à une rupture ou une situation financière difficile, le retour sur le marché de l’emploi se fait avec difficulté, surtout si la coupure a été complète et longue.

Renouer avec le marché du travail : un chemin semé d’embuches.

Les difficultés sont diverses. Avant tout, la non reconnaissance des compétences et qualités développées pendant les années consacrées à la famille. En effet, le travail domestique et familial est caractérisé par son invisibilité pour soi et aux yeux des autres. Parlant des métiers féminins, l’historienne Michelle Perrot dit que ceux-ci s’inscrivent dans le prolongement des fonctions « naturelles », maternelles et ménagères. Ils mettent en œuvre des qualités supposées « innées » chez les femmes : souplesse du corps, agilité des doigts, dextérité, précision, patience, douceur, ordre, intuition, discrétion, disponibilité pour les autres. Elle en conclut que « d’une certaine manière, ces qualités, déployées d’abord dans la sphère domestique, génératrices de services plus que de marchandises, sont valeurs d’usage plus que valeurs d’échange. Elles n’ont en somme « pas de prix » » [5] . Cela est d’autant plus vrai pour celles qui sont exercées uniquement dans la sphère privée.  

L’éloignement du marché du travail et l’évolution rapide de celui-ci peuvent impliquer une obsolescence des connaissances et diplômes, et par là un manque de confiance des employeurs et employeuses quant aux capacités des mères qui souhaitent retrouver un emploi. Cet éloignement entraîne aussi une perte de repères, tant par rapport aux métiers existants qu’aux attentes des employeurs et employeuses ou aux codes professionnels. Il en découle un manque de confiance en soi.

Faire la transition famille-emploi demande une réorganisation familiale, car la mère est souvent cheffe d’orchestre, personne de référence, pilier de famille avec une présence 24h/24. Il faut redistribuer les cartes, et pour cela lâcher prise, déléguer, négocier… Il faut aussi « déprogrammer » ses habitudes pour en acquérir de nouvelles, changer de rythme pour soi et pour l’entourage proche, changement qui peut prendre du temps.

La reprise d’un emploi est génératrice de revenus supplémentaires, mais aussi de coûts liés notamment à la prise en charge des enfants, à une éventuelle aide payée pour l’entretien du ménage, sans parler d’une augmentation des impôts, voire de frais liés à une formation. Malgré cela les mères qui s’engagent sur le chemin qui les conduira vers une activité professionnelle possèdent de réels atouts. Notamment des compétences et ressources acquises hors du monde professionnel qu’elles doivent apprendre à identifier et mettre en valeur.

Des compétences qui ont de la valeur

Depuis plus de 20 ans, diverses initiatives pour faire reconnaître la valeur du travail domestique et familial ont vu le jour :

– Création du CFC en Économie familiale à l’initiative de Jacqueline Berenstein Wavre et du SPAF [6], devenu CFC de Gestionnaire en intendance, afin de valoriser les compétences acquises au foyer et les faire reconnaître dans le cadre de formations ;

– Fixation du salaire à l’engagement au sein de la Ville de Genève dès 2009 [7]par la prise en compte des années passées au foyer.

– Attribution d’un salaire pour la personne responsable du foyer évalué (par le SPAF dès 2004 !) entre 5’000.- et 8’000.- par mois selon la taille de la famille et l’âge des enfants.

De surcroît, des études pour déterminer et évaluer les compétences clés ont été menées et des outils proposés [8].

Se reconnaître des compétences et les monnayer

Afin de soutenir les mères dans leur démarche de réinsertion professionnelle, F-information propose depuis cette année un travail de groupe basé sur la méthodologie des bilans de compétences intitulé « Se préparer à la reprise d’un emploi : atelier pour femmes au foyer ». Cet atelier vise la reconnaissance personnelle des compétences développées au cours de sa vie, la mise en évidence de compétences transférables sur le marché du travail, et la définition d’un projet professionnel. Les aspects organisation du temps, identification des obstacles et des ressources à disposition sont également travaillés.

La structure Femme et Emploi de l’OFPC [9] (Office pour l’orientation, la formation professionnelle et continue) propose également un accompagnement individuel aux mères qui souhaitent renouer avec le marché du travail.

A Bienne, EFFE – Espace de formations [10] propose pour divers groupes de personnes des « Bilan-portfolio de compétences » en groupe ou dans une démarche individuelle à distance.

 

[1] Les mères sur le marché du travail. Actualités OFS, Neuchâtel, octobre 2016

[2] Géraldine Wong Sak Hoi « La Suisse, un pays de mères au foyer ? », Article de Swissinfo du 9.08.2020

[3] Cf. l’étude Gender Intelligence Report 2020 publiée par l’Association suisse des entreprises pour l’avancement de l’égalité des sexes sur le lieu de travail et l’Université de St-Gall. 

[4] OFS, Statistique des nouvelles rentes 2018 et actualisation partielle des indicateurs sur la prévoyance vieillesse, 06.07.2020

[5] Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion 1998, p. 202.

[6] SPAF, Syndicat des personnes actives au foyer, anciennement créé au sein du Collège du travail à Genève.

[7] Règlement d’application du statut du personnel de la Ville de Genève (REGAP) LC 21 152.0 Art. 74 Fixation du traitement initial.

[8] La Direction des écoles publique de la Ville de Berne a notamment utilisé la grille « Qualifications essentielles » en 1996 afin de convertir les activités extra-professionnelles en années de service.

EFFE, Du travail familial aux compétences professionnelles, Tobler Verlag AG, Alstätten 2005

[9] http://citedesmetiers.ch/var/cdmt/storage/original/application/337ca7369e01092bcfba89f849b31f82.pdf

[10] https://effe.ch/formations-de-groupe/bilans-de-competences-groupe/